VICE-VERSA... L’ÉMOTION CHEZ PIXAR

8 juillet 2015

Autant le dire tout de suite, j'ai vu trois fois le film au cinéma. La première fois, Vice-Versa m'a mis dans tous mes états. Ca m'a même vidé de passer du rire aux larmes plusieurs fois en 1h40. Je sais que je suis un spectateur plutôt sensible et que j'accepte assez bien de tomber dans le piège d'un film un peu "tire-larmes", pourvu que je ne sente pas le réalisateur arriver avec ses gros sabots. Il faut quand même que ce soit bien fait pour que ça fonctionne.

Mais qu'est-ce qui a si bien marché avec Vice-Versa ? Déjà, j'avais un excellent a priori. Depuis le festival de Cannes où le film a été salué, et avec mon passif de fan de Pixar, je partais très confiant. En entrant dans la salle, j'espérais très fort voir mon meilleur Pixar. Ensuite, c'est parce que le film s'adresse aussi bien (voire peut-être plus) aux adultes qu'aux enfants qu'il m'a particulièrement parlé. C'est bien simple, je n'ai RIEN à lui reprocher. Le message délivré est fort mais tout en nuances. Le scénario, cette tranche de vie - tout en simplicité - parle à tout le monde. Et Riley est ce personnage en lutte avec ses émotions que l'on connait tous. Riley, c'est nous aujourd'hui (ou hier), c'est un souvenir d'enfance ou d'adolescence plus ou moins lointain, ou bien ce peut être l'enfant qu'on a sous les yeux si l'on est parent. Riley, que ce soit nous-même ou un autre, c'est cet enfant qu'on ne veut pas, tout comme les créateurs qui se fendent d'une jolie dédicace au générique, voir grandir.

 

Rien d'extraordinaire dans ce qui arrive à Riley à l'aube de ses douze ans, c'est pour cela que l'identification du spectateur est si facile. Riley habite dans le Minnesota, elle a des amis fidèles, une famille aimante, elle pratique le hockey sur glace. C'est une jeune fille heureuse, et au quartier général de son cerveau, Joie, pétillante demoiselle à cheveux bleus et robe verte, s'en félicite.

Mais voilà que le père de Riley est muté à l'autre bout des Etats-Unis. La famille est contrainte de déménager : il faut donc que Riley s'habitue à une nouvelle maison, une nouvelle école, qu'elle se fasse de nouveaux amis. Comme tout ne se passe pas comme prévu, les bouleversements dans la tête de Riley sont nombreux. Quand il n'y avait pas d'ombre au tableau du bonheur, Joie prenait le dessus sur les autres émotions (Colère, Dégoût, Peur et Tristesse), mais maintenant, c'est bien plus difficile. Les "îles de la personnalité" de Riley se détraquent quelque peu, voire beaucoup, et Joie doit apprendre à composer avec les autres émotions du quartier général. Ce à quoi le spectateur prend part, c'est la lutte des émotions de Riley, joliment mise en images et en aventures.

 

Par bonheur, Vice-Versa échappe au schéma du film d'animation qui veut souvent un gentil (si possible un héros) et un méchant. En même temps, c'est un film plutôt bien documenté sur le plan scientifique, qui fourmille de jolies idées, qui ne manque pas de drôlerie quand il s'agit d'expliquer pourquoi on ne retient plus les numéros de téléphone ou pourquoi cette satanée chanson qu'on déteste nous revient sans arrêt en tête.

A quoi tient donc la réussite de Vice-Versa ? L'idée des "petits personnages pour expliquer ce qui se passe dans notre corps" vous rappelerait Il était une fois la vie, mais c'est très différent en fait. Le film vise clairement l'amusement et l'émotion, même s'il n'oublie pas d'être intelligent. Je vois Vice-Versa comme la synthèse et l'aboutissement de quelque chose chez Pixar. Bien sûr, c'est mon analyse au jour J. Les prochains projets du studio nous diront plus tard si Vice-Versa voulait représenter un cap quelconque.

 

Moi, je les ai vus s'éclater à donner la vie et la parole à tout ce qui n'en avait pas a priori : des jouets dans Toy Story (1995), des voitures dans Cars (2006), des poissons dans Le Monde de Nemo (2003), des robots dans Wall-E (2008)... A force de prêter des émotions à tout et n'importe quoi, il fallait qu'ils en viennent au fait. Alors dans Là-Haut (2009), Pete Docter (qui co-réalise aujourd'hui Vice-Versa) nous parlait plus directement de nos émotions humaines. En présentant Carl et Ellie en musique et sans paroles, Pixar signait la plus belle introduction qui ait jamais été donnée à un film d'animation. Dans la suite logique de tout ça, Vice-Versa est comme l'aboutissement d'un long travail sur les émotions. Mais en même temps, y-a-t-il vraiment "aboutissement" de quelque chose ? Même en mettant en scène des robots, des jouets, des poissons, des rats, des voitures, des monstres, Pixar n'a jamais cessé de nous parler de nos émotions, en les transférant, en les mettant à distance.

Dans Vice-Versa, c'est plus direct. L'émotion frappe plus fort, car tout ce que vit Riley, on l'a déjà éprouvé. Ce que vit Riley, ça s'appelle grandir. C'est garder quelques souvenirs forts (qu'ils soient heureux ou malheureux) pour se forger une personnalité, c'est s'arranger avec un vécu qui s'accomodera plus ou moins bien de ce que les circonstances extérieures lui demanderont d'intégrer. C'est laisser derrière soi l'ami imaginaire de ses quatre ans pour mieux affronter les épreuves d'aujourd'hui. C'est affronter des émotions complexes, c'est faire son chemin dans la vie, en somme.

 

En sortant de la salle de cinéma, je me suis mis à imaginer les cinq petits personnages "s'affrontant" dans ma tête. J'ai aussi vu dans la rue un petit gars de six ou sept ans avec ses parents. J'ai imaginé ses petits bonshommes à lui. Je me suis dit que Pixar avait frappé là un très grand coup.

Le regard attendri, un peu nostalgique, mais surtout très intelligent que Vice-Versa porte sur l'enfant qui sommeille en chacun de nous est absolument délicieux.


LES BANDES DE FILLES DE CELINE SCIAMMA

26 septembre 2014

Céline Sciamma est une réalisatrice de 33 ans qui, en trois films, s'est déjà dessiné un style au service de sujets de prédilection qui tournent autour de l'enfance, de l'adolescence et de l'identité. En 2007, il y avait eu Naissance des Pieuvres, un premier film qu'elle avait signé en utilisant son scénario de fin d'études à la Femis. L'histoire troublante de Marie, qui au bord des bassins de natation synchronisée, s'éprend de Floriane. Une première oeuvre sensible, au sujet douloureux, qui révéla autant sa réalisatrice que la jeune Adèle Haenel, dont on connaît le parcours désormais. En 2011, deuxième film : Tomboy, ou quand Laure, 11 ans, jouant de son androgynie, fait croire l'espace d'un été à ses nouveaux amis qu'elle est Michaël. En 2014, Bande de Filles, le troisième long de Céline Sciamma. Trois films, trois pépites.

 

Ce qui me plaît chez Céline Sciamma, c'est cette possibilité de parler de choses a priori déjà beaucoup vues au cinéma, mais en posant un œil complètement nouveau dessus. On a vu des films sur l'enfance, sur l'adolescence, sur la banlieue, sur l'identité sexuelle, sur les premières amours. Mais Céline Sciamma a su, dès Naissance des Pieuvres, montrer qu'elle savait regarder ses personnages comme personne d'autre. Juste assez loin pour leur donner leur vie, leur indépendance et tout leur sens, et juste assez près pour que le spectateur s'identifie en eux. Céline Sciamma s'abstient de les juger, elle les montre au cœur de leurs tourments intérieurs et les laisse s'en débrouiller. Pour cela, elle joue sur les regards, sur un montage contemplatif, sur des longueurs volontaires.

 

Les films de Sciamma, c'est aussi une ambiance. De tout cadre temporel et spatial elle semble pouvoir faire une parenthèse. Celle des vacances d'été dans Naissance des Pieuvres et dans Tomboy. Dans le premier, elle efface volontairement la présence des adultes, l'adolescence étant la période des troubles qu'on affronte seul(e). Dans le second, les parents de Laure et sa petite sœur sont là, mais le regard resserré que la réalisatrice pose sur Laure nous invite à une introspection du personnage. Définitivement, Céline Sciamma nous invite à la comprendre, à se mettre un peu à sa place, elle, la jeune fille entre deux âges qui cache un subterfuge pour paraître un garçon dans sa petite boîte à dents de lait.

 

Dans Bande de Filles, Sciamma a inventé l'onirisme de banlieue. Ce cadre souvent dépeint dans tout son réalisme trouve ici un nouveau visage. Pas moins violent, peut-être un peu plus humain. Ici, il y a aussi un monde qui disparaît : celui de l'école. Les filles de la bande fréquentent les esplanades des cités, les grands espaces de La Défense : là sont les lieux de leurs combats. Marieme a 16 ans, son avenir professionnel (et peut-être son avenir tout court) s'annonce sombre. Elle intègre une bande, y trouve ses marques, devient quelqu'un aux yeux des autres. Elle tombe, elle se relève, de multiples fois. Le sujet est grave ; il est question d'identité encore une fois, d'honneur, de la possibilité de braver les lois que les autres imposent. Mais le traitement est habile, la caméra posée à l'exacte limite entre le rire et les larmes.

Personnellement, j'étais à fond avec cette bande-là, pendant 1h50. La spontanéité des comédiennes non professionnelles vous propulse directement au cœur de la bande, que vous soyez garçon ou fille. Dans l'atmosphère feutrée d'une chambre d'hôtel bleue, les filles m'ont presque fait chialer à chanter sur du Rihanna.

 

Car Bande de Filles est aussi musical. Très, au point que la musique structure la narration. Dans des moments de noir, elle est un personnage à l'écran, elle ponctue les chapitres de l'histoire de Marieme. Avec Rihanna ou J-Dash, les filles dansent sur la musique de leur époque, ces morceaux-là sont le reflet de ce qu'elles sont, ce qu'elles vivent, leur exutoire à la violence du cadre social et familial. Avec Para One ou Light Asylum, elles évoluent, se battent contre la loi de leur cité, de leurs frères, des autres filles qu'elles affrontent en bandes. 

Tomboy, lui, était plutôt silencieux, mais, comme un motif récurrent, le seul morceau du film accompagnait aussi une scène de danse (entre Laure et Lisa). Et la BO de Naissance des Pieuvres, composée aussi par Para One, était très différente de celle de Bande de Filles, mais participait tout autant à l'ambiance.

 

Bande de Filles est sûrement le plus adulte des trois films de Céline Sciamma, peut-être parce que ses personnages sont plus âgés (mais pas moins perdus !), peut-être aussi parce que le cadre dépeint et l'histoire paraissent plus réels. Mais quant à déterminer laquelle de ces trois petites pépites est la meilleure, je ne me prononcerai pas.

 

Je vous conseille de découvrir l'ensemble de l'oeuvre, avec le regard le plus neutre possible.